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Résistances

Déclinez votre identité !

Identité reçue, subie, choisie, consommée…

par Paul Soriano

1er août 2021, modifié le 8 septembre 2024

En être ou ne pas en être ? Comment définir et délimiter une « identité », sexuelle, ethnique, nationale ou religieuse ? Quel rapport entre ces formations sociales aux frontières incertaines et l’identité d’un sujet, ce qu’il est ou ce qu’il devient, à travers ses appartenances, allégeances et dissidences ? Si les marqueurs identitaires exhibent une soumission au collectif, ils sont aussi bien les médiateurs dont joue un sujet en quête de distinction.

« L’ennui de n’être que soi peut devenir insupportable. C’est ainsi qu’on en vient à écrire des romans » (André Bleikasten, biographe de Faulkner)

« Identité » fait partie de ces mots troublants qui évoquent quelque chose et son contraire, le même et le tout à fait singulier, à nul autre pareil. Mais qui suis-je, alors, si je ne suis pas moi ?

Les mots qui la disent empruntent le plus souvent au collectif (ethnique, culturel, religieux, national…) ou à un rôle social : citoyen, professionnel, syndicaliste ; si bien qu’on se distingue… en faisant comme les autres. Le rapprochement avec la mode s’impose, d’autant que la consommation contribue désormais à l’offre de marqueur identitaires. Et c’est donc en multipliant les allégeances que l’on tend vers l’unicité. Le choix est vaste, entre formations identitaires concentriques (Français, Breton, l’une spécifie l’autre) et formations disjointes ou sécantes (Français et musulman). Les migrations, les conversions, la chirurgie, la psychanalyse et toutes sortes de prothèses identitaires, désormais vendues sur les marchés, atténuent les distinctions entre identité reçue (ou subie), choisie et « consommée ».

On peut considérer l’identité de deux façons. Soit de l’extérieur, à la manière de l’ethnologue, du sociologue ou de l’historien. Elle est alors mise à distance, tel un objet que l’on observe et décrit ou dont on s’attache au contraire à montrer, si l’on peut dire, l’inanité. Après avoir beaucoup investi dans la construction des identités, nationales en particulier, les intellectuels s’emploient plutôt de nos jours à les dévaluer : selon la Vulgate de l’époque, l’identité n’est qu’une construction sociale à déconstruire. La question de la frontière de l’identité est alors ramenée à quelque chose de connu, frontières territoriales ou frontières « virtuelles » attachées à une définition : ceux qui satisfont aux propriétés sont « dedans », les autres « dehors ».

L’autre approche est celle du sujet, aux prises avec son ou ses identités : « suis-je et si oui, qui suis-je ? ». Ou avec sa perte d’identité : « OK Then. If I’m not me, who the hell am I ? » (« qui suis-je donc, si je ne suis pas moi ? »), s’affole. Douglas Quaid, interprété par Arnold Schwarzenegger, dans le film Total Recall de Paul Verhoeven.

Collectives, les identités n’en sont pas moins toujours éprouvées par un sujet. « Être » (un) catholique, par exemple, ce n’est pas la même chose qu’ « être » une pierre, un chat, ou même un primate supérieur, quand bien même cette « propriété » serait héritée. C’est se sentir, sinon se construire et se vouloir tel : la burqa habille une personne dont on aurait tort de croire qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait en exhibant ce masque qui ne la cache que pour mieux se montrer.

A vrai dire, le discours de l’identité entrelace le plus souvent ces deux approches, comme lorsqu’un ethnologue observe sa propre tribu ou qu’un ministre nous invite à questionner notre identité nationale. Cette pluralité d’appartenances et d’allégeances (et de dissidences aussi) engendre logiquement des confrontations : le citoyen s’acquitte volontiers de l’impôt, mais l’homo œconomicus rechigne ; le catholique et le républicain ne coexistent pas non plus sans débats.

Et pourtant, à la différence d’un empire ou d’une cité, le sujet est « un » sans avoir besoin de référence transcendante (extérieure) pour se constituer – ses guerres intestines sont toujours de guerres civiles. En termes médiologiques, il échappe à l’« axiome d’incomplétude ». En d’autres termes encore, il est sans frontières : sauf cas extrême et pathologique, ma conscience est sans couture ni suture, sinon avec mon « inconscient » (et il m’arrive aussi, en situation, d’ « oublier » telle ou telle de mes identités), mais cela est une autre histoire.

Il faut prendre de la hauteur (géométrique) pour discerner les frontières de l’Hexagone, sur la carte ou sur le territoire si elle y est tracée. De même, je dois « prendre de la hauteur » m’élever au-dessus de ma « condition de Français » pour me saisir en tant que Français, pour m’interroger, à l’occasion, sur cette identité, en discerner le contenu et les limites quand je me la représente. Mais cette prise de distance n’est que mentale, réflexive : inutile de se mettre hors de soi pour se voir en tant que Français, républicain, catholique, ouvrier ; n’en déplaise à Rimbaud, « je » n’est pas un autre et, n’en déplaise à Joseph de Maistre, on peut parfaitement se « rencontrer » comme homme et comme Français, Italien ou Russe.


Voir : L’identité d’un point de vue philosophique

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