Ce n’est pas le moment de faire du mauvais esprit avec les virus, mais on a déjà remarqué ici le caractère « viral » des épidémies idéologiques. Elles se propagent désormais via les nouveaux réseaux de diffusion de l’information, eux-mêmes exposés à des « virus informatiques ». Autre pathologie « infectant » les esprits ou les âmes, comme d’autres infectent les corps : les fausses nouvelles (fake news, « intox ») dont le potentiel viral est très supérieur à celui des vraies, nous assurent les chercheurs…
Pardon pour cette incontinence métaphorique, mais avouez que c’est troublant…
Si, comme dans un précédent billet, on assimile le « virus informationnel » au hashtag, qu’en est-il de l’#identité, dans un monde sans frontières, un monde de « libre circulation » ? Et comment diable une globalisation peut-elle ainsi produire son contraire, une fragmentation identitaire sans précédent ? À noter que Régis Debray avait vu venir le coup et pronostiquait dès 1981 : « mondialisation des objets, tribalisation des sujets ».
Pandémie ? Outre la France, #identité touche l’Europe, la Russie, la Turquie, l’Inde et les États-Unis : on verra dans un prochain billet que le néo-politiquement correct des universités américaines est une déconstruction pratique de tous les « idéaux des Lumières »– dans la foulée de sa déconstruction théorique par la French Theory…
L’#identité elle-même est « mutante » : de l’identité ethnique à celle du genre et des préférences sexuelles, voire alimentaires, elle relève aussi bien de la nature que de la culture, ou des deux, ou, il faut bien le dire, de n’importe quoi… Et son mode de propagation viral affecte les médias et les réseaux sociaux, l’espace public et la société en général.
Qui sont les porteurs malsains, docteur Truong ? Des polémistes identitaires, nationalistes ; les pourfendeurs de l’immigration ; une « nouvelle droite » et des cathos archaïques, genre manifs pour tous, et des réactionnaires maurrassiens ; et des néo-fascistes mutants qui « articulent autoritarisme de droite, xénophobie et antilibéralisme de gauche ». Et tout près d’eux des « chevénementistes droitisés » (sic), des souverainistes de bonne foi, tous en quelque manière contaminés. Et aussi des porteurs sains, ces progressistes qui échangent avec les malsains, à l’image d’Emmanuel Macron quand il s’égare dans un foyer virulent comme Valeurs actuelles, ou de Madeleine Schiappa lorsqu’elle débat avec Zemmour… Et comment savoir si un Michel Onfray, par exemple, est encore « sain » ? Le sait-il lui-même ?
Le virus, hélas, ne se propage pas seulement par contact, sinon comment expliquer que les immigrés, cible désignée des identitaires, soient de plus en plus identitaires aussi (musulmans entre autres) ; et de même, d’autres « minorités », juives, voire… catholiques ! Comment expliquer l’ « islamo-gauchisme » ? Ou les dérives identitaires du néo-féminisme ? Certaines communautés que l’on croyait pourtant vaccinées, y cèdent à leur tour. Et jusqu’à ces opposants à la réforme des retraites, salués par… Zemmour ( !) parce qu’ils rejettent un système « universel » afin de conserver un régime particulier, identitaire quelque part aussi…
Encore plus inquiétant : le corps médical (les défenseurs de l’ordre intellectuel sain) est touché. À lire les experts convoqués par notre clinicien, on s’aperçoit en effet qu’ils partagent avec ceux qu’ils combattent des symptômes ; à l’image de cette « cécité idéologique » qu’il vaudrait mieux du reste qualifier de daltonisme… Inversement, les identitaires se sont emparés du « gramscisme », de la figure du squatter, des « idiots utiles » (de Lénine), de la résistance et de la dissidence, etc. Sans oublier la victimisation des « immigrés de l’intérieur »…
On partage des symptômes mais aussi des remèdes : alors que la pensée saine réprouve les frontières, elle entend appliquer aux identitaires une espèce de confinement ; là pour le coup, il ne s’agit plus de « lever les tabous ». En vain d’ailleurs : « on croit poser une digue on lance un pont » dit joliment un thérapeute, l’historien Patrick Boucheron.
La contamination générale et réciproque, pas étonnant que les uns et les autres puissent à l’occasion se ressembler…
Pour autant, notre clinicien ne désespère pas : certes, Zemmour et Finkielkraut continuent de s’exprimer librement, ce courant est « sorti du ghetto » (la formule n’est pas très heureuse) mais l’emprise du national-populisme médiatique « ne touche évidemment pas l’ensemble de la presse ni, loin de là, toutes les émissions de télévision. » Vraiment ? Pour en avoir le cœur net, nous avons effectué une rapide enquête d’où il ressort que (pour le moment), la majorité des médias qui comptent est saine en effet. Échantillon non exhaustif : outre Le Monde lui-même : France-Inter, France-Info. Et encore : France-2, 3, 4, 5, Canal+, Libé, et d’autres… Les médias du capital (BFM Business, Les Échos…) tiennent bon. Le Figaro est touché, mais l’important courant macroniste de sa rédaction est épargné. Idem pour Le Point, où veille BHL. Marianne est en observation, France-Culture itou, à cause d’une séquence hebdomadaire, le samedi à 9h00 – n’en disons pas plus pour ne pas lui faire de publicité.
Autre bonne nouvelle : la prévention reçoit désormais le soutien bénévole du capital qui a entrepris de couper les vivres (la manne publicitaire) aux médias atteints, espérant ainsi éliminer les foyers de propagation.
Mais attention : 100 000 cas sur 7 milliards d’individus, ça semblait dérisoire aussi… sauf que chacun des 100 000 est susceptible d’en infecter 10, 100, 1 000 et ainsi de suite… Il serait donc irresponsable de prétendre que l’épidémie est sous contrôle.
D’autant que la vraie source d’inquiétude, n’est déjà plus la souche principale, national-populiste : le virus identitaire mute à grande vitesse… Naguère concentrée sur l’espèce « petit Blanc », la fièvre gagne peu à peu l’ensemble des minorités souffrantes et/ou en lutte. À l’instar de l’épidémie française de fièvre jaune (assez rapidement jugulée), les éruptions présentent désormais deux faces : l’une sociale, moderne et inoffensive, et l’autre archaïque et identitaire : « nous » les victimes…
Le côté identitaire est d’autant plus redoutable qu’ayant subi l’épreuve du temps il se montre particulièrement résistant aux antibios. Les remèdes habituels, condamnation morale, références historiques (les années 30), censure et in fine répression… semblent non seulement inefficaces mais inappropriés : condamner, censurer les bourreaux, soit, mais les victimes, c’est plus compliqué, et de nature à aggraver l’affection.
Il nous reste à examiner le foyer américain, d’autant plus attentivement qu’il commence à contaminer sérieusement le Vieux Continent.