Le nouveau président est clairement un Leader et même un « entrepreneur politique », son parti couramment assimilé à une start-up. Ses adversaires le désignent comme le représentant des Maîtres de l’époque (les oligarchies, le CAC 40, la finance, l’Eurocratie, les médias…). Mais lui-même prend bien soin de s’inscrire dans le temps long du roman national, ou dans ce qu’il appelle lui-même une « idéologie », en affichant les symboles requis : réformateur d’un Ordre qui le dépasse, il pourrait lui aussi s’écrier : « je ne suis pas venu pour abolir la Loi mais pour l’accomplir ». Ce que les mêmes adversaires flétriront du terme de « com ». Mais comment distinguer l’image symbolique de l’image télé ?
Son jeune âge et sa biographie l’éloignent, pour l’instant, de l’autorité paternelle. D’où la référence à Bonaparte plutôt qu’à de Gaulle. Mais à défaut d’être un Père, on peut, à l’image du dauphin, en avoir un. Ou plusieurs : un père familial dont on s’émancipe par ses choix personnels et professionnels ; un Père spirituel adopté, en la personne du philosophe Paul Ricœur ; et enfin un père politique à qui succéder. Meurtre du Père ? Pourquoi ne pas dire plutôt, à la manière chinoise, que son parcours et son succès anoblissent rétroactivement son prédécesseur, en témoignant de la perspicacité et de l’abnégation de celui qui l’a fait roi ?
La comparaison avec Bonaparte/Napoléon, révolution et en même temps restauration, n’est pas incongrue – Révolution est du reste le titre du livre-programme du candidat Macron. Son coup de balai a fait l’économie d’un coup d’État, les Juges (de la presse) et les électeurs lui ayant donné son 18 Brumaire légal.
Mais là où le Leader Bonaparte entendait propager la Révolution de France à l’Europe, Emmanuel Macron semble plutôt vouloir conformer la France aux normes de l’Europe (l’Union européenne), en brûlant les étapes : le Congrès de Vienne tout de suite, pour faire aussi l’économie d’Austerlitz et de Waterloo ? « Semble plutôt », tout est là. Car il ne faut pas oublier que ce jeune homme si bien pourvu du côté paternel s’est donné un second Père spirituel en la personne d’un certain Machiavel. Sans tomber dans les « vérités alternatives », il énonce volontiers ce que des esprits moins déliés appellent « oxymores ».
Le monarque, fût-il républicain, incarne en sa personne les quatre figures de l’autorité : en même temps, le passé, le présent, l’avenir et même l’éternité. Virtù du politique, affranchi des oppositions convenues qui paralysent des adversaires de moindre envergure : « ni gauche ni droite », par exemple, renoue avec « au-dessus des partis ». Et c’est enfin une façon d’opposer l’ambiguïté à la transparence, car celui qui depuis des mois dit tout ce qu’il veut faire et fait tout ce qu’il dit ne saurait pour autant être qualifié de « transparent ».
Au demeurant, il semble bien vouloir s’affranchir aussi d’un pouvoir spirituel abusif, ou du moins envahissant, tout en protestant de son respect pour la sacro-sainte liberté de la presse, tel l’Empereur pour le Pape qui l’a sacré, mais refusant de se rendre à Canossa. Le Roi agenouillé (symbole) devant l’autel, la place (vide) de Dieu, et non aux pieds de son représentant ici-bas, à la télé. Attention toutefois : le clergé commence à s’en offusquer, quand il ne s’indigne pas de tant d’ingratitude.
Car substituer au sabre le balai magique ne vous met pas à l’abri de la machine infernale, que seul un Maître peut maîtriser. Croyez-en l’apprenti sorcier [1] :
« Envoyé de l’enfer, veux-tu donc noyer toute la maison ? Ne vois-tu pas que l’eau se répand partout à grands flots ? » Un imbécile de balai qui ne comprend rien ! « Mais, bâton que tu es, demeure donc en repos ! […] Maître, sauvez-moi du danger : j’ai osé évoquer vos esprits, et je ne puis plus les retenir. — Balai ! balai ! à ton coin ! et vous, esprits, n’obéissez désormais qu’au maître habile, qui vous fait servir à ses vastes desseins. »