Et le seul choix qui en résulte : l’exit ou le renoncement au monde...
**L’Europe française : un contresens historique
Nous avons résumé l’affaire en quatre manches : de Gaulle-Adenauer (avantage France), Giscard-Schmidt (égalité), Mitterrand-Kohl (avantage Allemagne), Macron-Merkel (fin de partie).
Bêtes noires des souverainistes et autres eurosceptiques, les Monnet, Schumann et autres Jacques Delors, sont pourtant plus excusables que… Napoléon, de Gaulle et Mitterrand. Ces trois-là, en effet, ont adhéré à ce contresens historique : une Europe française, alors même que la France ne s’est faite et sans cesse affirmée dans l’histoire que contre l’Europe instituée : contre une Europe post-romaine qui a toujours été impériale et germanique (romano-germanique ou hispano-autrichienne) et tend tout naturellement à le redevenir.
Pour mémoire : ce n’est pas parce que Napoléon se proclame et se couronne lui-même « empereur », que la France et l’Europe conquise par ses armées devient ipso facto un « empire », pas plus d’ailleurs que le futur « empire colonial ». En tout cas, l’affaire s’est mal terminée.
S’appuyer sur une Allemagne à genoux pour prendre la tête d’une petite Europe à Six, passe encore, mais une fois lancé le processus d’élargissement, l’issue était prévisible. On objectera que personne n’avait prévu l’effondrement brutal de l’URSS et la réunification allemande consécutive, menée de main de maître par ce « lourdaud » d’Helmut Kohl ? On dit pourtant que gouverner c’est prévoir, et que la pire faute en politique est de sous-estimer l’adversaire…
**Le Quatrième Reich : un repoussoir
Confrontés aux querelles d’Allemands, les Français sont souvent mal inspirés : on préfère au Habsbourg, civilisé et souvent francophile, le Prussien et, quatre après Sadowa (1866), ce sera Sedan. Clemenceau poursuit de sa vindicte l’Austro-Hongrois trop catholique, prêt à signer la paix, et vingt ans après l’Autriche succombe à l’Anschluss hitlérien.
De leur côté, les européistes cultivent inlassablement une autre chimère : celle d’une Europe puissance sur la scène mondiale… tout en se gardant bien de nommer cette puissance : à savoir un empire, nécessairement, et germanique de surcroit, pour des raisons à la fois historiques (ci-dessus) et actuelles (la prépondérance allemande de fait sur l’Union).
Mais qui peut sérieusement envisager un… IVe Reich ? Personne, pas même les Allemands. En attendant, rappelons que le pseudo ministre des affaires étrangères de l’Union, doit, conformément au « principe de collégialité », « s’assurer du soutien de la majorité de ses collègues pour toute initiative dans les domaines de sa compétence ». Bonjour l’Europe-puissance !
**Angela Merkel : chancelière, pas plus…
Le cas Merkel est éloquent : cette tacticienne hors pair est dépourvue de toute perspective stratégique : personne (pas même elle ?) ne saurait dire quelle est sa vision pour l’Allemagne ou a fortiori pour l’Union. Sur le nucléaire, les réfugiés, sur les « dissidences » en Europe centrale et orientale, zone d’influence historique des Allemands, elle a multiplié les fautes et les échecs… À sa décharge il faut reconnaître que la simple à référence à une « vision » allemande peut encore faire frémir… Helmut Kohl était mieux loti : la réunification était un projet avouable, d’autant qu’elle était associée à une victoire de l’Occident au terme de la guerre froide… et que de Gaulle puis Mitterrand, avaient décerné à l’Allemagne démocratique un certificat de bonne conduite et de bonnes mœurs.
L’Allemagne de Merkel, donc, se contente de peser sur l’Union, sans assumer de leadership… Situation confortable : les profits (économiques) sans les responsabilités (politiques), au prix de quelques humiliations infligées à un nain politique qu’un Erdogan fait trembler, condamné à faire profil bas, sous protectorat de l’Otan, de la France (sa bombe et ce qui reste de ses armées) et des États-Unis. Situation inverse – inconfortable – pour la France qui exerce tant bien que mal des responsabilités politiques et de défense, sans en tirer profit.
**Macron : perseverare diabolicum
Déjà imprudent dans les années 60 (de Gaulle-Adenauer) et 80 (Mitterrand-Kohl), le soutien à l’Allemagne devient suspect dans les années 2010, quand le rapport de force s’est inversé. Cette collaboration offerte au déjà dominant, et qui se permet même de la traiter avec circonspection, comme s’il n’en voyait pas la nécessité, expose au soupçon (outré) de « pétainisme ». Qu’espérait-on ? Au mieux un peu plus de solidarité avec les États-membres (dont la France) les plus affectés par l’intransigeance germanique, au pire un traitement de faveur pour bonne conduite ? Dans l’un ou l’autre cas, c’est raté… Une inspiration gaullienne, mais plus réaliste, ou simplement politique, « à la française », suggérait de conforter plutôt les réfractaires, au sud (Italie) et à l’Est (Hongrie, Pologne et groupe de Višegrad) au lieu de les tancer comme on le fit, avec la dernière condescendance.
Ca n’aurait sans doute pas changé grand-chose… fors l’honneur.
**Jacques Delors : l’OPNINI
Entre le contresens (l’Europe française) et le repoussoir (l’empire allemand) ne subsiste qu’une réalité sans nom, un objet politique non identifié (OPNI) dans les termes de l’expert Jacques Delors ; on peut le préciser sous le nom à peine facétieux d’OPNINI.
Pour mémoire : si l’UE est trop forte (contraignante) pour permettre aux pays membres d’exister, politiquement, elle est trop faible (trop « divisée ») pour exister elle-même – plus exactement : la seule puissance susceptible de surmonter ces divisions est par avance disqualifiée. Comme on l’a vu, ce fatal ni-ni, ce trou noir de souveraineté, dépouille les États membres sans rien faire gagner à l’ « Union ». Jamais une concorde (In varietate concordia) ne fera une unité (E pluribus unum, devise des États-Unis d’Amérique).
**Le renoncement au monde
Effacées les chimères, un pays membre a le choix entre l’exit, brutal ou « intelligent » (éclairé par l’expérience du Brexit) et le renoncement au monde, auquel se sont converties nos élites politiques et intellectuelles : elles continuent de donner leur avis (ou plutôt leur sentiment) sur l’état du monde, avec d’autant plus de véhémence qu’elles en sont réduites ou peu s’en faut à publier des tweets indignés, moralement impeccables, pratiquement inexistants… On l’a vu encore à propos de la Syrie : éliminer l’indéfendable Bashar el-Assad, fort bien, mais après ? Conséquences pour la Syrie, les chrétiens et les alaouites, le Moyen Orient, l’Europe, le reste du monde… ? Rarement la distinction wébérienne entre éthique de conviction impuissante (Hollande) et éthique de responsabilité politique (Poutine) n’a été aussi éclatante. Moralité (si l’on peut dire) : on ne fait pas de politique avec de bons sentiments.
Sinon, on pourra continuer à en faire, de la politique, mais en mode petit joueur, au sein de l’Union… où ce sont paradoxalement, les « petits pays » qui ont peut-être le plus de marges de manœuvres, à l’image de ces petits partis politiques « centristes » et opportunistes, dans les Parlements dominés par des grands partis qui se croient dominants…
**Un vaccin très politique
En attendant, c’est une histoire de vaccin qui nous a valu le premier vrai bras de fer entre l’UE et le Royaume Uni (après les négociations de sortie). Pour le moment, le score s’établit à un partout : un pour le RU (le vaccin), un pour l’équipe (virtuelle) de l’UE : le chantage, pardon la pression (restons diplomates) exercée pour valider le vaccin, après avoir un peu semé le doute sur son efficacité. Bien joué… Mais pour la suite, le RU va retrouver ses marques séculaires et on va devoir réviser ses cours d’histoire : diviser l’Europe, jusqu’à présent sans grand succès, mais on peut faire confiance (façon de parler) à la perfide Albion…
PS. Ce qui surprend un peu, c’est que Boris semble cibler… tout le monde : l’UE, bien sûr, mais aussi la Chine et la Russie, et cela alors même que le nouveau président des États-Unis ne l’apprécie guère. Ça commence à ressembler à une impasse, mais Boris est sans doute plus malin que nous...