Accueil > Les temps qui viennent > Hégémonie > Fraternité

Politique

Fraternité

L’enfer, c’est les autres

par Paul Soriano

27 juin 2024, modifié le 2 juillet 2024

Liberté, égalité, fraternité ? Ce n’est pas la solution, hélas, c’est le problème ! L’enfer c’est les autres ? Sauf, paradoxalement, lorsqu’ils sont vraiment différents, et pas des alter ego, toujours faux-frères et frères ennemis.

Des hommes libres et égaux peuvent-ils être frères ? Hobbes pense que non, et René Girard itou : au mieux des concurrents, au pire des ennemis mortels. L’abolition des privilèges déchaîne la guéguerre de chacun contre tous : liberté, égalité, inimitié. Comment faire d’un tas un tout ? Entre violence et bons sentiments, on n’a pas encore trouvé la bonne réponse…

Demi-frères : (con)citoyens, camarades, compagnons…

À défaut de vrais et de faux-frères (Caïn et Abel, Remus et Romulus…), on optera pour « camarades », mais le terme désigne des voisins de chambrée, autant dire des frères d’armes : c’est pourquoi les Italiens de gauche ont choisi « compagnon » (qui partage le pain, à table plutôt qu’en chambre) et abandonné camarade (« camerata ») au fascisme : des frères (Fratelli d’Italia) mais des frères d’armes, d’où cette passion pour la guerre.

En France, compagnon est préempté par les gaullistes (compagnons de la Libération). Pire : c’est devenu un euphémisme pour dire concubin(e), alors même que « camarades » (ceux et celles qui couchent ensemble) serait plus approprié…

Pour faire lien à gauche, ou plutôt « vivre ensemble », mais déliés, il y aurait bien le « socialisme », mais là encore c’est plutôt le problème que la solution : « le socialisme est l’individualisme logique et complet » (Jean Jaurès). Retour à la case départ !

Reste la solution libérale, ni frères ni camarades, contractants (du « contrat social »), échangistes dans une société de marché. Hélas, on sait bien que les désirs ne sont pas complémentaires (dans l’harmonie) mais mimétique (dans la rivalité avec l’alter ego). Ajoutons qu’entre individus libres et égaux, rien ne peut légitimer d’obscènes inégalités de fortune, sinon de fumeuses arguties sur le « mérite »… qui se mesure justement par le montant de la fortune acquise !

Le moment fraternité

Sinon, la fraternité, en effet, n’est qu’un « moment [1] ». Le reste du temps, les citoyens vaquent à leurs occupations, travail, famille, etc. Ce sont au mieux des intermittents de la République. La nation, un plébiscite de tous les jours (Renan) ? Oui, mais on ne plébiscite pas tous les jours. Le nous, j’y pense et puis j’oublie. Seuls les politiques et quelques intellectuels ne pensent qu’à ça… Les autres, il faut périodiquement leur rafraîchir la mémoire.

En période révolutionnaire, le traître est moins celui qui pactise avec l’ennemi extérieur (éternel « parti de l’étranger ») que le citoyen à temps partiel, ennemi de l’intérieur, intermittent de la nation. La Terreur entend remédier durement à cette distraction.

Résumons : ou la famille ou la religion et la fraternité communautaire ; entre les deux, la société holiste, hiérarchisée : à défaut d’égaux, des pairs… Ou bien la guerre, les frères d’armes soudés par l’ennemis.

Deux extrêmes : totalitarisme, on vous forcera à être frères, après vous avoir obligés à être libre (Rousseau) ; Facebook « amis de tous les pays connectez-vous ». Deux formes d’asservissement, hard ou soft, le premier coercitif, parano et coûteux, le second volontaire, bienveillant et… lucratif. Vous préférez Jupiter, Staline, petit père des peuples (pourquoi « petit » au fait ?) et Big Brother ; ou bien l’ami Zuckerberg ?


Logo. Jean-Pol GRANDMONT (2011), CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=25725183


[1Régis Debray, « Le moment fraternité ».

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message


Envoyer un message à l'auteur : Contact