Un régime de domination est politique et géopolitique, avec des frontières ; il implique des oppositions et des opposants, des dominants et des dominés, à l’intérieur, et des ennemis à l’extérieur, il est polaire ; il s’appuie surtout sur un hard-power (polices et armées), même si un soft-power est déjà à l’œuvre : la propagande, notamment, qui emprunte les canaux de l’écrit puis de l’audiovisuel.
Le régime hégémonique [1] serait tendanciellement post-politique ; une gouvernance entend se substituer aux gouvernements ; plus de frontières : il est unipolaire, sinon totalitaire (ce que trahit l’euphémisme inclusif) ; les opposants y sont pour ainsi dire anormaux : délinquants, déséquilibrés ; les dirigeants réfractaires sont considérés comme des tyrans anachroniques (le tsar Poutine, le sultan Erdogan, l’empereur Xi-Yinpig…) ; une révolte (celles des Gilets jaunes, par exemple) s’y trouve dépouillée de toute dimension politique, pour devenir un simple « mouvement social » », ou pire : un « accès de fièvre » provoqué par les passions tristes, dont il faut bien réprimer fiévreusement les excès, hélas, en attendant de lui trouver une thérapie…
Le régime hégémonique ne se substitue pas purement et simplement au régime de domination : en termes de puissance, notre époque est géopolitiquement caractérisée, entre autre, par la montée en puissance de la Chine face aux États-Unis mais, en termes de soft-power, la Chine a certes ses propres GAFA (les BATX), mais il lui manque, outre le globish, langue de l’hégémonie, Hollywood (et Netflix), et la pop-culture, qui fait danser le monde, Chine comprise, l’hegemon qui chante et qui danse, Lalaland. Et surtout la combinaison implacable de ces facteurs.
Cette mutation aurait deux causes principales : la première est un événement historique bien connu, l’effondrement de l’URSS ; la seconde est médiologique : le déploiement du soft-power hégémonique américain, précisément.
Certes, la chute de l’URSS a livré un monde bipolaire à l’autre puissance, et c’est ainsi que l’influence américaine a pu gagner en extension ; mais la médiologie est requise pour expliquer que ladite influence ait surtout gagné en intensité.
En d’autres termes, un soft power tout-puissant se substitue avantageusement à un hard power défaillant (déconfiture irakienne, trente ans après sa déroute au Vietnam). Les GAFA font mieux que l’OTAN, et avec profit. Plus précisément : le numérique aurait parachevé un processus que le soft power audiovisuel avait déjà entrepris, les GAFA ayant « annexé » Hollywood (le produit de cette annexion s’appelle Netflix).
L’hegemon, est moins un maître qu’un guide, celui qui marche en avant (en marche ?). Hegemonicon (Gaffiot), c’est le principe directeur, dans les actions, en particulier dans la métrique poétique et la danse… Le métronome est un maîtronome (Médium 41, « Rythmes »).
Bien entendu, ce dispositif global implacable présente toutes sortes de failles et d’interstices (et de « bugs ») par où opèrent toutes sortes de résistances dont la plupart, du reste, font usage des instruments destinés à les asservir…
En régime d’hégémonie globale, où il n’y a plus d’extérieur, plus d’opposants (sinon des « anormaux »), plus d’« autre » en somme, la menace, logiquement, ne peut venir que de l’intérieur. Les ennemis du système sont dans le système, quand ce n’est pas le système lui-même qui, par une ironie très baudrillardienne devient l’ennemi du système… Exemple : pour combattre le complotisme il se faut se montrer encore plus complotiste que lui, repérer et confondre ses acteurs, décrypter ses « plans cachés », ses ruses et autres perfidies.