Finalement, tous nos malheurs proviendraient de la défaillance de l’instinct qui, chez les autres animaux, gouverne le comportement des individus et des groupes – le péché originel ? Pire que l’absence d’instincts : des esprits animaux basiques non régulés par des instincts sociaux… Pas de mode d’emploi pour le « lien social » et autres poncifs : faire société, vivre ensemble, etc.
Comment faire d’un tas un tout ? D’abord en se donnant un nom (les Français, par exemple) et en se racontant une (belle) histoire, un « *roman national », toujours par exemple. Après quoi, le politique n’a d’autre finalité que la paix civile, face aux divisions qui résultent de la diversité des opinions et des intérêts ; et cela afin que la cité accueille et protège toutes les « valeurs » et les activités qu’elles motivent, et qui ne sont pas politiques, justement : le commerce, l’art, la science, ou la philosophie… La « valeur » politique est la cité, et rien d’autre.
Le « tout est politique » n’est pas seulement absurde, mais monstrueux. On dirait plus justement que rien n’est politique, en dehors de la cité, de sa pérennité, qui est la seule « valeur politique ».
Le *conservatisme n’est pas un courant politique parmi d’autres, c’est un autre mot pour dire le politique (« conserver » la paix civile menacée par les conflits qu’engendrent les opinions et les intérêts…). Étant entendu qu’il faut savoir changer pour conserver, et parfois même tout changer (on n’ose ajouter : pour que rien ne change). Tout aussi respectable, le progressisme, qui veut rendre le monde meilleur (et l’homme aussi tant qu’à faire), relève du religieux, pas du politique.
**Laïcité étendue…
Mais ce « pouvoir », modeste dans sa finalité, dispose d’un moyen démesuré : le monopole de la contrainte (et de la violence) légitime, qui est l’instrument de la souveraineté, intérieure et extérieure (vis-à-vis des autres cités…), le pouvoir suprême, par définition.
C’est la neutralité du politique par rapport aux « valeurs » que poursuivent les citoyens qui constitue la seule *laïcité authentique – tout le reste n’est qu’imposture et dangereuses contrefaçons, dès lors que le politique détient ce monopole de la contrainte légitime.
La guerre civile affrontée par Henri IV lui a fait inventer, sans la nommer, la laïcité ; après s’être converti à… la Realpolitik : son « Paris vaut bien une messe » trouble au moins autant le catholique ultra (la messe mise au service d’un dessein politique ) que l’intransigeant réformé, futur républicain laïcard (que cette messe ulcère) ; sans parler de Ravaillac… Les guerres de religion ont remis la France dans la « voie politique » ; elle devait plus tard, hélas, la prendre à l’envers…
Sans *souveraineté (à l’intérieur comme à l’extérieur) la puissance se met au service de n’importe quoi : Néron qui se prend pour un artiste met le pouvoir au service de son « œuvre », mais d’autres plus fous encore, et se prenant carrément pour Dieu, entendent « changer l’homme » ; et sinon (qui veut faire l’ange fait pire que la bête), on dérive vers les « mauvais penchants » d’un être à peu près dépourvu d’instincts sociaux pour réguler ses désirs et ses comportements.
**Monde meilleur ?
Les Anciens ont une conception orthodoxe du politique, qu’ils nomment du reste d’après la polis, la cité, ce qui ne les empêchera pas d’inventer aussi l’empire, seul régime capable d’assumer le « multi-culturalisme » où s’empêtrent de nos jours les nations…
Le christianisme va tout changer, en trois étapes et trois concepts : la Cité de Dieu augustinienne, la notion médiévale de « pouvoir spirituel » et la Réforme : la Genève de Calvin va ajouter la « théocratie » à la liste des régimes établie par Aristote (qui l’ignorait)…
Et bien loin de s’émanciper, comme ils le croient du « théologico-politique », les Modernes vont s’y ruer, en assignant au politique la « mission » de progresser vers un monde meilleur, un Empire du bien, version profane de la cité de Dieu : de même qu’un athée refuse d’appeler Dieu « Dieu » et préfère lui donner un autre nom, de même, la politique selon les Modernes c’est de la religion sous un autre nom.
Certains auteurs en ont conclu que le politique requiert le religieux (le « transcendant »)… Il est possible qu’une société ne puisse se passer de religieux, sinon de religion, et que quand la religion instituée s’efface, le religieux se met littéralement à divaguer : à imprégner le politique mais aussi, pourquoi pas, l’art, la morale, la culture, voire… l’économie (l’éthique protestante du capitalisme ?) – comme c’est du reste le cas de nos jours, et de manière exacerbée, avec la religiosité inavouée de notre « *pop culture »… Et inversement les religions instituées font de la politique (font la guerre) : l’islamisme est certes une politique, mais il n’est pas le seul, il vaut mieux en avoir conscience…
On est loin en tout cas, bien loin du si judicieux : « Rendez à César… »…
« S’ils ont écrit de politique, c’était comme pour régler un hôpital de fous… » constate Pascal, « c’est qu’ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensent être rois et empereurs… » Des fou à l’antique, tels Néron et tant de fous modernes, Savonarole, Robespierre, Lénine. Ou Napoléon quand il se prend pour Napoléon…
PS. Telle la rose d’Angelus Silesius, la cité est sans pourquoi, elle n’a pas a été expliquée, justifiée, critiquée… « elle fleurit parce qu’elle fleurit », tout au plus cultivée, racontée, comme dans un roman (national).