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Post, néo, trans...

par Paul Soriano

25 août 2021, modifié le 8 septembre 2024

Marcher n’est pas suffisant : encore faut-il savoir si c’est pour avancer, reculer ou tourner en rond.

Autrefois les choses étaient simples, le temps s’écoulait normalement, de l’avant à l’après et dans le bon sens, celui du progrès. Le monde ne jurait que par l’universalisme, les Occidentaux un peu en avance, mais les autres rattrapaient rapidement leur « retard »… Aujourd’hui, le mouvement politique planétaire le plus virulent se veut anti-Occidental – anti-Blanc, en fait, mais c’est un peu la même chose ; encore que l’anti-occidentalisme soit lui-même une attitude typiquement occidentale ; il est rarissime qu’une autre « culture », non occidentale, s’auto-dénigre, surtout quand elle a disparu…

Cela dit, et pour ce qui est de rendre le monde meilleur, conformément au programme des Lumières, il y a manifestement un bug quelque part : le génocide des Indiens (entre autres) et l’esclavage, deux guerres mondiales, la Shoah, le Goulag, Hiroshima ; et par ailleurs le massacre des abeilles (l’insecte pollinisateur !), la destruction de l’anthropo-diversité puis, carrément, de la bio-diversité ; et enfin le saccage de la planète : il serait peut-être temps, en effet, de désoccidentaliser… En attendant l’extinction de l’espèce prédatrice, sans distinction de couleur ?

Avancer, reculer, tourner en rond, disparaître ? En tout cas, trois préfixes offrent une description assez crédible du monde qui vient : post- (ce qui est dépassé), néo- (ce qui revient), trans- (ce qui franchit les bornes).

Après les « fins de… » (l’histoire, la politique, la nation, l’homme…) qui ont fait place nette, on ne croit plus à rien : le vrai, le juste, le beau, la réalité même sont dévalués. Mais on n’affronte pas pour autant le néant (le rien nihiliste), plutôt le trop-plein du n’importe quoi (dont ce texte témoigne sans doute) : rien n’est vrai mais tout est vraisemblable, justifiable, esthétisable sous l’égide d’un art post- ou néo-contemporain déchainé…

Mais tout ce qui a disparu peut faire retour : le révolu est révolutionnaire. Retour du religieux [1] mais surtout moralisation puritaine vigilante : du politique, de l’histoire, de l’art, de l’entreprise, et même de la technique : la mauvaise (nucléaire, carbone…) s’oppose aux technologies « douces », « soutenables » ou ambivalentes (biogénétique)… Retour de Dieu et/ou de la Nature ? Nous avons déjà lourdement galégé sur l’alternative : Padre Pio et Madre Bio ou encore le cousin Bonze et la cousine Bête. Passons…

Retour du politique en régime hégémonique « post-politique » ? Retour en tout cas de dirigeants anachroniques (le tsar Poutine, le sultan Erdogan, l’empereur Xi-Yinpig…). Sous l’impulsion d’un jeune leader inattendu, la France a semblé elle-même hésiter entre le modèle olympien (Jupiter), l’Ancien Régime et la startup nation, ou bien les trois en même temps, avant de se replier sur un mitterrandisme éprouvé, l’Empire n’ayant pas laissé que de bons souvenirs. Les États-Unis, de leur côté, en reviennent à la chasse aux sorcières, distraction prisée des puritains fondateurs, à ceci près que les sorcières ont pris de l’âge et changé de sexe et qu’on ne brûle pas encore (Burn Baby, Burn !) les mâles blancs de plus de cinquante ans…

Peut-on prendre ces retours au sérieux ? À propos des bégaiements de l’histoire, Marx parlait déjà de « farce » : parodies, simulations, fake (contrefaçons), anachronismes (« et en même temps », c’était mieux avant-hier). Ou bien alors retours… du refoulé, dont on sait qu’il se manifeste toujours de manière névrotique : schizo (monde virtuel, simulations, réalité augmentée, hyper-réalité) ; parano (complotisme) ; hystéro (réseaux sociaux).

Au-delà du post- et du néo- se dessine toutefois une issue, ou bien un achèvement sans retour, via un troisième préfixe d’époque : le trans-… Transgression générale des frontières, territoriales, mais aussi temporelles voire ontologiques, des frontières du genre (le néo-féminisme ne promeut pas le féminin, mais l’abolition de la différenciation sexuelle ou genrée)… Le sans-frontières, ou l’illimité. Une dernière limite peut-être : la nature épuisée – à ceci près que la technologie promet aussi son dépassement.

Avant de disparaître (?), le bio a légué au techno le virus et la viralité (cf. « le virus produit en laboratoire » des complotistes) ; et le réseau (sans frontières, qui en est un quasi-synonyme). Virus informatique, infodémie, idéodémie (« bulles d’opinion ») à l’image de la pandémie, le post-humain par extermination de l’espèce (ce matin, la presse régionale nous informe que le variant indien est arrivé au Havre).
L’humain se trouve ainsi écrasé entre pré- (le bio) et post- (la techno) sous le signe du virus, du code et des algorithmes et des bien nommées bio-technologies. Après la guerre zéro-mort, la guerre zéro-humain – côté agresseur, bien entendu – aux bons soins des drones…

Remarquez, pour ce qui est de disparaître, ce n’est pas pour tout de suite : au Maroc, une Malienne vient d’accoucher de neuf bébés : « nonumaman, c’est joli » commente joliment la dame de France-Info jamais à court de commentaires profonds – s’il est un impôt, un seul, qu’il faudrait préserver, c’est bien la redevance radio-télé, si ça existe encore…

La preuve : à propos de l’homophobie dans le footeball (marronnier du jour sur la même station), une autre avertit : « Peut-être le prochain Zidane sera gay, et si rien ne change, on perdra… ». Il faut reconnaître que l’argument est béton, de nature à faire réfléchir le supporteur le plus borné.

Et si on veut transgresser plus vite, on pourrait confier le rôle de Zizou à Corinne Masiero, dans une série pédagogique.


Chronique parue dans Marianne, le 10 mai 2021.


[1La *religion dominante ne dit pas son nom, mais le prêchi-prêcha est partout, dans un monde où les footballeurs et même les policiers s’agenouillent à tout bout de champ

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