Trop facile d’ironiser, dans le genre « la cosmétique lance un remède efficace contre le mal blanc… ». Il vaudrait mieux la prendre au sérieux : ce n’est qu’une première étape, attendez-vous à de nouveaux développements, dans la propagation d’une novlangue qui entend censurer l’expression publique et privée, par le moyen le plus radical : épurer le vocabulaire.
Formater les corps, les âmes et les esprits
Trêve d’ironie. Ce ne sont plus désormais des régimes totalitaires qui s’attaquent à la langue pour contrôler la pensée ou mieux : l’abolir ; cette fois c’est la « société civile, et plus précisément les entreprises, les « marques », qui s’y emploient. L’initiative de L’Oréal est peut-être cocasse mais elle s’inscrit dans un offensive historique (lu dans capital.fr : « L’Oréal prend une décision historique »). D’autres ont précédé, d’autres suivront…
La supériorité des corporations sur les dictatures résulte du fait qu’elles sont des acteurs globaux (« multinationales »), comme le sont les réseaux sociaux qu’elles ont entrepris de contrôler via le chantage à la manne publicitaire (Facebook céde à la pression des « annonceurs »). Globales aussi en ce sens qu’elles s’attaquent aux corps, aux esprits et aux âmes, notamment via la publicité qui « promeut » le produit, les arguments et les « valeurs » qui vont avec.
Sur les corps, elles exercent le fameux biopouvoir cher à Foucault, puisqu’elles opèrent dans les secteurs alimentaire et pharmaceutique, dans la santé, le sport et… la cosmétique, emballages compris. Foucault observait un transfert de pouvoir des Églises aux États, mais ce que nous voyons aujourd’hui c’est celui des États (territorialement limités) vers les corporations (globales) : les « brebis » des Églises sont devenues leurs moutons.
Quant aux multinationales de l’information, de la com, de la publicité et du marketing, du spectacle, du cinéma et des séries télé, elles s’occupent du formatage des esprits et de la conversion des âmes, voyez l’exemple du film Autant en emporte le vent retiré par HBO, le temps de « mettre en garde » les spectateurs – trop stupides ou trop pervers pour se tenir en garde eux-mêmes ?
Mais ce que contrôlent surtout ces acteurs, c’est la technologie : plus besoin de police, ni de « panoptique », chacun porte sur soi, mieux qu’un bracelet de surveillance, un smartphone : la servitude n’est plus seulement volontaire, elle est « collaborative », délation comprise.
C’est l’opinion, nous objecte-t-on, qui contraint les multinationales à agir, et les gouvernements qui obligent les plateformes à réprimer fake news et « discours de haine »… L’opinion, elles contribuent à la faire, selon le catéchisme US déjà évoqué : les entreprises « européennes » (le « Français » L’Oréal, l’anglo-néerlandais Unilever…) se soumettent et en rajoutent, avec un couche de French Touch, toujours chic, mais le communiqué de L’Oréal est en anglais, as usual.
Quant aux gouvernements, on a vu comment l’affligeante « loi Avia » (heureusement rejetée par le Conseil constitutionnel) prétendait mettre au pas les plateformes, alors qu’elle leur déléguait la répression de nos concitoyens. D’un point de vue médiologique c’est la puissance et l’efficacité des dispositifs qui importe, sinon pourquoi diable les gouvernements, les peuples et les opinions leur délègueraient le travail ? Le « tout puissant » président des États-Unis vient de découvrir à ses dépens ce qu’il en est des rapports de force et, chez nous, le CAC 40 n’en a pas fini avec Zemmour….Ce qui s’en réjouissent sont peut-être déjà dans le collimateur…
On désigne l’Occupation comme la période la plus « sombre » de notre Histoire – un terme qu’il conviendra désormais d’éviter… Sombre, elle le fut pourtant, ô combien, mais du moins a-t-elle suscité des résistances et la Bête fut finalement terrassée par les Alliés qui n’étaient pas tout blanc.
Franchement, on ne voit pas aujourd’hui se dessiner de lignes de résistance à l’insondable bêtise coercitive qui nous cerne de toute part.
Post-scriptum sur la cosmétique.
Il ne faudrait pas que la lutte contre le racisme occulte le reste, notamment ce sexisme insidieux qui n’annonce pas la couleur. Tel cosméticien, impeccable en matière d’anti-racisme, contribue par ailleurs à la pire des aliénations… Sous couvert de « beauté », d’hygiène, de bien-être, de jeunesse, et autres litotes, ne travaille-t-il pas cyniquement à rendre ses clientes sexuellement attractives ? Pas besoin de consulter Sigmund pour nous mettre au parfum, l’usage des euphémismes « sexy », « sensuel », ou carrément « parfum de femme » (odor di femina ?) en dit assez. Dans une société qui reste majoritairement hétérosexuelle, le « moteur caché », c’est encore la concupiscence masculine. Après nous avoir guéris de la vision blanche, il est urgent de nous désodoriser. Attendons l’avalanche de publicités des fêtes de fin d’année, toujours « sensuelles et un brin sulfureuses », pour savoir si nos vertueux parfumeurs ont reçu le message…