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Homme nouveau

Homo ludens : le touriste universel

Vous marchiez ? Eh bien dansez maintenant...

par Paul Soriano

1er octobre 2021, modifié le 8 septembre 2024

Cet homme nouveau, cet être qui vit au présent, honteux et repentant pour ses fautes passées mais sans avenir (l’avenir est déjà là), ce profil de données téléporté dans le Cloud par son *smartphone, ce dernier homme enfin, convenons de l’appeler l’homme sans qualités pour dire ce qu’il est ; ou bien homo ludens pour dire ce qu’il fait.

On connaît la blague : dans l’usine du futur, il n’y aura que deux employés : un humain et un chien. Le travail du premier sera de nourrir le second, et le mission du chien sera d’empêcher l’humain de s’approcher des machines. Ce que disaient déjà, paraît-il, les ingénieurs soviétiques à Gagarine : « surtout, ne touche à rien ! ».

Superflu ? Si l’on cherche un terme un peu plus « positif », Homo ludens [1] conviendrait assez à ce fanatique du divertissement (Homo festivus, selon Philippe Muray). On se permettra néanmoins de compléter l’injonction présidentielle (pour mémoire : « Amusez-vous, faites la fête, aimez la musique ») : « Indignez-vous à gogo contre ce passé honni où sévissaient des préjugés qu’on n’a pas fini d’éradiquer, mais oubliez le futur : l’avenir est déjà là, la *Révolution est achevée – des lendemains qui chantent et qui dansent – on ne saurait rendre le monde encore meilleur. *Cool !

A défaut de surhomme, Nietzsche nous a donné, il y a plus d’un siècle, un portrait saisissant de ce « dernier homme [2] », aujourd’hui mon semblable, mon frère. Confiné du bon côté du périphérique (horresco referens), ludens est néanmoins un Touriste intégral : nomade obstiné, même quand il réside quelque part, n’importe où (anywere), son monde est un spectacle ou, moins encore, un arrière-plan pour le selfie ; être-au-monde comme on est-à-Venise, à Bruges, à Paris Plage ou à Disneyland, le parc humain sans connotations suspectes : inclusif et non totalitaire.

De tous les slogans de Mai 68, « sous les pavés, la plage » est le plus perspicace. On ne saurait mieux dire la mutation du citoyen révolté en déambulateur écoresponsable à deux roues, et la métamorphose de la cité en site touristique. Toutes les capitales européennes se trouvent exposées ; dans les cantons les plus ravagés, les touristes sont plus nombreux que les autochtones, et grâce à Airbnb ils remplacent les habitants dans leurs habitations : le grand remplacement ?

Quant aux passions tristes, ludens ludens leur laissera libre cours dans la simulation transgressive des jeux vidéo, qui offrent une catharsis aux pulsions les plus abjectes comme aux plus vertueuses, non moins redoutables : les innombrables victimes d’un « monde meilleur » pourraient en témoigner si elles étaient encore de ce monde toujours imparfait… Dans beaucoup de ces jeux, la chair à canon (électronique) est joyeusement pulvérisée, comme dans la guerre des drones, mais « c’est pas pour de vrai », comme disent les (grands) enfants. Et si l’on considère que chacun des « post- » recensés (politique, historique, identitaire, etc) peut donner lieu à un « néo- » soit en mode nostalgique (et commercial : vintage, rétromanie), soit en « retour du refoulé », à l’exemple de l’identitaire qui viralise à droite et à gauche, alors les startup qui développent ces jeux de massacres ont de beaux jours devant elles, dans la Nef des fous.


Extrait de Homo ludens


[1Johann Huizinga (Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, 1938), dont le héros est toutefois plus consistant que le nôtre.

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