Dans Le Monde du 15 octobre 2014, Eric Albert nous apprend qu’une bataille de Paris fait rage sur Wikipédia :
Depuis des années, mais avec une récente recrudescence, l’article sur Paris (dans sa version anglaise) est au centre d’une controverse qui voit s’affronter deux camps. D’un côté, les partisans de la « ville-musée », qui privilégient les monuments et le Paris intra-muros ; de l’autre, ceux qui préfèrent son côté « moderne », et mettent en avant le Grand Paris et ses quartiers d’affaires.
Cette bataille nous remet en mémoire une observation prémonitoire de Michel Foucault :
« Peut-être pourrait-on dire que certains des conflits idéologiques qui animent les polémiques d’aujourd’hui se déroulent entre les pieux descendants du temps et les habitants acharnés de l’espace. » (dans sa conférence « Des espaces autres » où l’auteur introduit la notion d’hétérotopie, 1967).
Le nom « Paris » désigne en vérité de nos jours trois notions différentes, voire antagonistes.
1) le Paris (Paris1) historique et symbolique – et républicain : la capitale de la nation qui appartient à tous les Français (et non aux seuls « Parisiens ») et, à ce titre, requiert un statut particulier. Le Paris des « pieux descendants du temps », pour reprendre la jolie formule de Foucault.
2) Le Paris « bobo » (Paris2) : le bobo est un résident (un « habitant acharné de l’espace ») qui entend pleinement jouir de sa ville. En gros : le Paris de Delanoë et de sa successeure (sic), laquelle entend, logiquement, mettre fin à ce qui reste de statut particulier, pour pouvoir librement aménager sa ville conformément aux souhaits de ses électeurs majoritaires.
3) Le Paris des « économistes » (Paris3) : le Grand Paris en quelque sorte, au centre d’une des régions les plus riches du monde – et qu’il convient de « développer ».
On noter que Paris1 ne trouve guère de défenseurs, ni même de citoyens-résidents conscients de l’enjeu… La querelle de Paris n’oppose donc que Paris2 et Paris3, bien que leurs champions respectifs convergent sur de nombreux points. Ne fût-ce que par leur hostilité, ou plutôt leur indifférence, à Paris1.
Entre une gauche adroite et une droite un peu gauche, entre quartiers des affaires et affaires de quartier, on devrait pouvoir s’entendre.