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Catéchisme

Un remède cosmétique efficace contre le mal blanc ?

Bleu blanc rouge

par Paul Soriano

29 juin 2020, modifié le 8 septembre 2024

Le groupe L’Oréal supprime les mots « blanc », « blanchissant » et « clair » des emballages de ses produits : Super-Kosmetic ose tout et c’est même à ça qu’on le reconnaît. La fachosphère appelle au boycott ? Saluons plutôt cette courageuse initiative, parce qu’elle le vaut bien. Et poursuivons le combat.

En vérité, le blanc n’existe pas plus que la race ; on devrait rayer le mot de la Constitution (art. 2 : « L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge »). Et tant qu’à faire, cesser de voter blanc aux élections.

Comment obtient-on du blanc plus blanc que blanc ? En lui ajoutant du bleu ! Les blanchisseurs malins appellent cela l’« azurage ». Le blanc est relatif : les dents d’une personne basanée paraissent plus blanches que celles d’un mâle blanc de plus de cinquante ans. Le vin blanc n’est pas blanc, mais jaune, le boudin blanc est beige, le chocolat blanc de couleur crème, le haricot blanc, beige ou vert pâle, le raisin blanc, jaune ou vert clair… D’ailleurs, les prétendus Blancs, quand ils se croient en bonne santé, ont la peau rosée, tout comme le jambon blanc. Quant au « Blanc d’honneur » c’est une personne qui ne présente pas les caractères ethniques d’un Européen (un Blanc noir, jaune ou rouge), mais jouit de ses prérogatives. Un traitre en quelque sorte…

En vérité, le blanc est triste, ce n’est que la plus pâle de cinquante nuance de gris. Il est salissant, il a tendance à noircir ou jaunir. Comme par hasard, le seul vrai pigment blanc, la céruse, à base de plomb, est toxique. Le seul blanc qui vaille, c’est le blanc cassé.

Le blanc, à l’image du Blanc, « réfléchit », en fait il prend tout et ne rend rien : il absorbe et ne transforme en chaleur qu’un peu de l’énergie rayonnante qu’il reçoit.

Il était temps de dénoncer ces impostures, merci Liliane !

Cela dit, éliminer le blanc, et le blanc seulement, c’est encore le privilégier, d’autant qu’il combine toutes les couleurs du spectre solaire et s’oppose à ce qui est foncé, noir, rouge, voire sale… Par précaution, chassons aussi le (mot) noir, et plus généralement tous ceux qui désignent une couleur – on ne prend jamais assez de précautions.

Il faudrait aussi s’interroger sur les termes qui désignent une « qualité » quelconque, perceptible par les sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher) toujours susceptibles d’un jugement de valeur avec montée aux extrêmes (à l’exemple de « plus blanc que blanc ») et d’un usage inapproprié : grand, petit, fort, faible, râblé, rugueux, lisse, amer, etc. Pour vos achats de fin d’année, privilégiez le désodorant (L’Oréal ou autre) et laissez tombez les parfums et leurs horripilantes publicités qui nous assaillent dès le 15 novembre.

Chassons aussi les synonymes (clair, pâle…), les patronymes (Blanche de Castille, Blanche-Neige, Laurent Blanc : Wikipédia en repère quatre-vingt !), le sens propre et le sens figuré, les métaphores et même les homonymes (vert, ver, verre, vair), ainsi que les assonances : L’Oréal, par exemple, fait penser à « boréal » qui évoque l’obscène blancheur de la banquise.

Quant au Carré blanc sur fond blanc, de Malevitch, c’est une véritable provocation.

Il est effarant que le blanc soit encore le symbole de l’innocence, sans parler de la virginité tandis que les autres couleurs (du rouge au noir) symbolisent la souillure physique et morale. En Afrique comme en Asie, le blanc symbolise, et pour cause, la mort et le deuil. Même chez nous, on l’associe à la vieillesse (« chenu » signifie aussi blanc), à la peur, au froid et à la mort (en concurrence avec le vert), par opposition au rouge sang vital. Alors cessons de lire naïvement le Candide de Voltaire (du latin candidus, blanc). Qu’attendons-nous pour changer le titre Le rouge et le noir en « Les aventures de Julien Sorel » ou, mieux, « Le souffrances de Madame de Rénal » ?

Traquons aussi les termes dont la connotation avec le blanc est irrésistible : la neige et, par extension, le flocon et le bonhomme (de neige), la coke (poudre blanche), le talc, la farine, le lait, etc. Il faudra aussi renoncer aux fleurs, dont la plupart sont associées à une couleur, parfois de manière explicite (rose, violette, bleuet). Évitons de mentionner les choses et les êtres susceptibles d’être blancs ou colorés : la peau, la patte (montrer patte blanche), les cheveux, la viande, les globules, la gorge et la langue, le mal blanc et les pertes blanches.

Trouvons d’urgence une cure pour apaiser l’angoisse de la page blanche, un remède à l’albinisme et, en attendant, confinons pour leur bien les albinos.

Bannissons le fromage, le sucre, le pain (manger son pain blanc), le vin (l’horrible blanc de blanc), le choux (faire choux blanc), la volaille (l’insipide blanc de poulet), les œufs (l’abominable blanc monté en… neige !) et l’ignoble blanquette de veau.

Jetons ce bonnet qui insiste lourdement (blanc bonnet et bonnet blanc), ôtons le voile, les sous-vêtements et les draps, fuyons la Quinzaine du blanc : les textiles ne sont jamais blancs mais blanchis, artificiellement, avec la dernière violence, à l’eau de Javel. Sinon, écru… Idem pour le salon de l’électro-ménager.

Déposons les armes (blanches) et même les balles à blanc, faisons l’économie du fer, du bois, du verre, de la pierre (marqué d’une pierre blanche), dissimulons les ours, les vers, les loups (comme le loup blanc), l’éléphant, la baleine et les oies (blanches), la lumière et les nuages : nous préserverons du même coup la paix et la planète…

N’oublions pas la colère, la voix, le mariage (blanc ou en blanc), la nuit, l’examen, le vote, la carte (donner carte blanche), le blanc-seing, le livre et le drapeau (blancs), la magie (blanche ou noire). Mettons un terme à la traite des blanches, vêtues de lin blanc et de probité candide. Et n’oublions pas non plus les verbes  : chauffer, saigner, coudre (cousu de fil blanc).

Et pour finir, changeons ces expressions banales qui nous trahissent, ne disons plus de but en blanc mais à l’improviste ; ne disons plus « noir sur blanc » mais clairement – non zut, pas « clairement » non plus, mais « sans ambiguïté » et cessons de blanchir l’argent sale, cessons de nous regarder dans le blanc des yeux. Ne laissons plus rien en blanc, ni un chèque ni une procuration, assez de blancs dans la conversation.

En un mot, devenons chromophobes et s’il faut en passer par là pour décolérer la société, décolorons notre langue, sans revenir pour autant au noir et blanc.

Toujours en retard d’une guerre, la France vient de connaître une « vague verte » aux élections municipales… Mais non, le vert n’existe pas davantage, c’est un mélange de bleu et de… jaune. Brandissons plutôt le petit livre incolore du président Macron, et de droite et de gauche, ni rouge ni blanc, ni vert : transparent.

NB. Ce billet N’EST PAS sponsorisé par la ou les marque(s) citée(s).


Logo. Kasimir Malevitch — MoMA, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=14943560

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