S’y conjuguent en tout cas : une action et des acteurs affrontés dans leurs rôles respectifs, suivant une théâtralité élaborée ; la violence plus ou moins légitime ; le droit et les contraintes qu’il introduit, tout un rituel pratique et juridique (Code de procédure pénale) ; un aménagement matériel spécifique et des techniques ; une communication orale, corporelle et écrite… Le tout polarisé par un secret présumé détenu par une guest star à son corps défendant, le suspect. Ce personnage complexe connaîtra dans sa carrière divers avatars, sous différents rôles et statuts : mis en cause (le « MEC »), mis en examen ou témoin assisté (devant le juge d’instruction), prévenu (devant le tribunal correctionnel) ou accusé (en Cour d’assises). Mais ceci est une autre histoire…
De l’action, des rôles et des règles, du matériel et des sentiments, qui dit mieux ?
Les policiers se partagent habilement les rôles, au plus simple : good cop, bad cop. Éventuellement assistés par un psy, en particulier dans les cas de crimes en série, ils font face au suspect, tour à tour seul puis épaulé (assis côte à côte) par son avocat. Le rôle de ce dernier est, en gros, de garder la maîtrise des informations divulguées par son client, en s’appuyant sur les droits de la défense.
L’espace est aménagé par la technique, du mobilier aux appareils d’enregistrement, et mobilise tout un matériau, notamment ces pièces, dites « à conviction », éléments à charge et autres indices graves et concordants : des témoignages, des textes, des images et des objets, préparés pour être présentés opportunément au suspect qui n’en peut mais, sinon livrer ses propres interprétations, dans une espèce de joute herméneutique.
L’interrogatoire articule deux modes de communication : l’oral en présence, face au corps éloquent et vulnérable du MEC ; et l’écrit, la déposition (procès-verbal) signée de sang-froid, requise par la procédure.
Si le cœur de l’action se situe dans la salle, à l’extérieur d’autres policiers peuvent voir et entendre ce qui s’y passe sans être vus, grâce à un miroir sans tain (l’inverse du grillage monodirectionnel au confessionnal) et communiquer secrètement avec leurs collègues qui opèrent à l’intérieur. Il arrive même qu’un interrogatoire implique plusieurs MECs séparément, dans des salles différentes entre lesquelles il faut encore ménager la communication des policiers mais à l’insu des suspects ; ce qui permet aux premiers de dire le vrai et le faux dans certaines limites fixées par le « principe de loyauté dans la recherche des preuves ».
Et tout ce déploiement, si tout va bien (ou mal, selon le parti qu’on adopte), aboutira au tribunal, avec un dossier plus ou moins bien ficelé, où des témoins à la barre jureront, fort imprudemment et contre toute vraisemblance, de dire toute la vérité.
L’ancêtre barbare de la salle d’interrogatoire civilisée par le droit et les mœurs est la chambre de torture. On l’associe spontanément au passé, singulièrement au Moyen Âge et à l’Inquisition, mais la torture, hélas, est toujours d’actualité – à ceci près qu’elle s’exerce en des lieux qui ressemblent plus à des laboratoires infernaux qu’à des chambres. Malgré tout, la pression physique, parfois modernisée (la gégène à l’ère de la fée électricité) fait de la résistance et continue, intemporellement, à recourir aux quatre éléments : le feu, l’eau, l’air (privation) et la terre, métaphore de l’enfermement et prélude à l’ensevelissement.
Désormais honteuse, la torture se cache – beaucoup moins depuis le 11-septembre – sauf sur les écrans complaisants. Le film Zero Dark Thirty inspiré par la traque et l’exécution de Ben Laden a été vivement critiqué et sans doute privé d’Oscars à cause de ses longues scènes explicites de torture. Sans que l’on sache très bien ce qu’on reproche au juste à ce déballage : une banalisation cynique de la torture ou bien la mauvaise image infligée aux institutions qui la pratiquent ?