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Soft power

Propagation

De la pizza aux groupes de thérapie

par Paul Soriano

1er juillet 2021, modifié le 30 juin 2024

La domination opère par conquête et occupation, l’hégémonie par propagation.

L’import-export de traits culturels, au sens le plus large (des idées aux comportements, en passant par les habitudes alimentaires, et bien d’autres) est en fait le plus souvent un aller-retour dans le cadre d’un échange inégal. Régis Debray nous a décrit le processus dans Civilisation (2017) et dans l’ouvrage France-Amérique, 2018, qui en est comme une illustration.

Les États-Unis 1) adoptent (ou s’emparent de) quelque chose, un produit (le vin, la pizza), une idée, une croyance, une forme littéraire ou artistique, voire une œuvre (remake), une mode, etc. ; 2) ils le reconditionnent à leur manière ; 3) ils le réexportent vers le pays d’origine et vers le monde entier.

Le reconditionnement implique en général une industrialisation et une commercialisation, « à l’américaine ».

À la manière du rythme (qui en fait partie), ces productions affectent autant les corps, que les âmes et les esprits ; ce soft-power opère à la manière d’une pandémie dont les porteurs sains ignorent en général ce qu’ils véhiculent : par exemple les amateurs de pop music, de séries US ou de management à l’américaine, ignorent le catéchisme embedded : on se convertit sans même le savoir.

Un exemple ? La pizza ! Importée d’Italie (Naples), elle est reconditionnée aux Etats-Unis (avec supplément de fromage) et renvoyée à l’Europe et au monde entier, où les jeunes la préfèrent souvent à l’original. Le processus est toujours le même, mais connaît des variantes. Exceptionnellement, c’est une province de l’empire, qui importe, reconditionne et réexporte, typiquement, le western spaghetti (avec supplément de sauce tomate) qui a vengé les Italiens.
On pourrait en dire autant de… la mafia (avec supplément de… films de mafia, généralement réalisés par des cinéastes italo-américains).

Mais tout commence avec la langue, l’anglais originel, importé ou plutôt apporté par les Pilgrim Fathers, pour finir en globish international via l’american english. Sans compter, désormais, l’écriture dite inclusive.

Mais si la langue est le vecteur principal, le « milieu porteur », est religieux…

De nos jours, en Europe, la « religion dominante » est cette religiosité qui imprègne la plupart de nos importations culturelles en provenance des États-Unis : une sorte de catéchisme néo-puritain évangélique d’origine européenne (écossais ?) qui inspire de manière plus ou moins explicite les textes de la « pop music », le cinéma, les séries, l’information, la publicité, et même le management… Sans parler des dessins animés qui ciblent les enfants de tout âge…

Quand des policiers s’agenouillent pour un mea culpa collectif, cette « religiosité démonstrative » (Philippe Guibert), ne nous est pas (ou plus) si étrangère. Cette religiosité discrète et généralement inaperçue (on s’y ébat comme des poissons dans l’eau, ou plutôt dans le court-bouillon car elle imprègne) est d’autant plus efficace…

La Californie est le site de recherche-développement des nouvelles religiosités, la fabrique des nouvelles croyances.
« S’il est une religion proprement américaine c’est bien la religion de la technologie » nous dit Nicholas Carr, médiologue américain. Et dans la Silicon Valley, le transhumanisme est un alliage de techno-utopisme et de puritanisme ennemi de la chair périssable (le silicium c’est plus « pur »). Sans oublier le business, la troisième dimension d’une religion qui confirme ainsi ses origines.

La pop music emprunte à la fois à la musique celtique (européenne, qui nourrit la Country Music) et au blues (afro-américain). Oncle Sam les touille à sa façon le réexporte avec (gros) profits, économiques et symboliques, dans le monde entier, non sans y introduire sa bonne parole… Et la fin, Bob Dylan reçoit le prix Nobel de littérature ! En revanche, le rap, le hip hop et la « culture du ghetto » qui séduit nos banlieues, musiques et marques de fringues incluses, semblent purement américain(e)s…

Rien de plus américain que la Fantasy, un Disney, entre autres, lui doit sa fortune.
C’est pourtant un pillage et une dénaturation de quelques grands mythes européens (et d’autres continents). Plus généralement, l’Histoire européenne revue par des gens sans histoire : les horreurs du moyen âge européen « corrigées » par des Vengeurs, et des Super-héros américains ou américanisés, équipés de technologies non encore inventées. Et nos enfants adorent, forcément : leur imaginaire en est littéralement colonisé …

Lorsqu’il débarque aux États-Unis, Freud s’étonne de l’accueil enthousiaste qu’il reçoit : « ils ne savent pas que nous leur apportons la peste ! » aurait-il dit à son compagnon de voyage, également psychanalyse. Erreur Sigmund, cette peste est arrivée en Amérique au XVIe siècle, avec les Pères fondateurs, en provenance d’Ecosse (et non d’Autriche).

« Plus vous vivez dans le confort, plus vous êtes portés à vous interroger sur vous-même » remarque encore notre médiologue américain déjà cité. L’Américain moyen a des états d’âme, qui font la fortune de leurs shrinks dont le cabinet remplace avec profit le confessionnal. Mais on apprécie également la confession publique, voyez les « groupes de témoignage et de thérapie » qui se répandent en Europe dans la foulée des « alcooliques anonymes » : séquence devenue classique dans tant de films américains, au même titre que les ébats sexuels formatés où la dame désormais chevauche toujours le monsieur pour faire savoir qui commande (nul doute que la position du missionnaire sera bientôt interdite : inappropriate).

La névrose américaine, désormais universelle, tombe sous le diagnostic lacanien : surévaluation imaginaire du moi, confrontée à son insignifiance réelle faute de soutien par le symbolique, et aggravée par le ressentiment social. « Les start-up américaines dédiées à la santé mentale ont le vent en poupe » lisait-on dans Les Échos, en pleine pandémie : la névrose, of course, est aussi, as usual, un business

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