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Nature

Brève histoire de la nature, de Gaia aux boutiques bio

Inépuisable nature...

par Paul Soriano

24 novembre 2019, modifié le 7 septembre 2024

Cette idée tellement répandue qu’un être aussi chétif que l’homme pourrait « épuiser » voire « détruire » la Nature est grotesque. La Terre, peut-être, et encore, mais en quoi la disparition de cette poussière de planète pourrait-elle perturber, sinon infinitésimalement (grand pout pour une si petite chose), la Nature ?

Le baron de Münchhausen prétendait s’extraire des sables mouvants en se tirant lui-même par les cheveux. Peut-on s’extraire de la nature pour la nommer, la connaître et la protéger, « d’en haut », à la place de Dieu en somme ? Si la Terre ne ment pas, c’est qu’elle est muette ; les hommes, en revanche en parlent. À tort et à travers ?

La Nature a connu bien des aventures au cours des siècles, sans remonter à ces Stoïciens qui entendaient « vivre conformément à la nature » (Nietzsche leur a réglé leur compte). Au XVIIe, Descartes s’en déclare « maître et possesseur ». Cette fanfaronnade égologique à peine nuancée (« comme maître et possesseur ») est la définition même du propriétaire d’esclaves. Cool, René, cool, tu n’es même pas maître et possesseur de ton propre corps, alors la nature… Les Anciens étaient plus raisonnables, ils la prenaient pour une divinité et les Grecs ont donné un joli nom à la Terre mère, Gaia. Plus réalistes aussi : l’homme est un animal politique, animal d’abord. Mais le Capital comprendra le message et réduira Nature en esclavage sous le terme technique de « facteur de production ». Après deux siècles d’exploitation intensive, la trouvant bien dépourvue, il entreprend de « protéger » son bien, comme doit le faire tout propriétaire avisé.

Au XVIIIe, elle change de statut et, de concert avec la raison, elle s’oppose, à l’arbitraire, aux préjugés ; même les droits (de l’homme) deviennent « naturels ». Au XIXe, changement de cap : le livre de la nature étant écrit en langage mathématique (Galilée, 1623), elle devient objet de science (« biologie »). Un certain Darwin actualise la Genèse, sous l’emprise de deux divinités : le Hasard et la Nécessité. Hélas, la sélection naturelle va donner des arguments aux racistes et accessoirement, rebelote, au Capital : concurrence et sélection des entreprises les plus performantes… Des mauvaises langues prétendent que c’est à l’inverse le capitalisme concurrentiel de son temps qui inspire L’Origine des espèces. Comme notre bon La Fontaine, Darwin introduit de l’humain dans l’animal, on s’étonnera moins de découvrir de l’animal dans l’homme. « Possible que votre famille descende du singe, mais pas la mienne », lui objecte un vieux lord réactionnaire.

Toujours est-il que les esprits de progrès répudient bientôt cette nature asservie aux lois de l’économie politique en faveur de la « culture », sans trop s’aviser que ce mot désigne d’abord le travail de la terre. Mère Nature est devenue une marâtre dont il convient de s’émanciper : à croire que la Nature rend fous ceux qu’elle veut perdre.

Au XXe enfin, tête-à-queue spectaculaire : venant de la droite où elle justifie les hiérarchies sociales, irriguée à l’eau de Vichy, l’ « écologie » offre au gauchisme un nouvel angle d’attaque contre le Capital ; lequel va positiver : ce qui ne le tue pas le rend plus fort, place au green business, à l’investissement responsable et aux boutiques « bio ». Tout bénef. En vérité, on vous le dit, le gauchisme n’est pas l’ennemi du système mais son laboratoire.

Mais si la Terre ne ment pas, c’est qu’elle est muette. Écoutez plutôt ceux qui parlent en son nom, de l’intérieur en quelque sorte : le paysan qui la cultive et le poète qui chante les sensations et les sentiments qu’elle lui inspire. L’auteur d’une nouvelle traduction des Géorgiques de Virgile l’intitule parfaitement « Le Souci de la terre »…

La nature, de nos jours, c’est l’écologie qui en parle d’abondance. On peut être un farouche défenseur de la nature et tout ignorer des mots désignant les êtres qui la peuplent et des sensations qu’elle éveille, « le rythme des saisons, le souffle des tempêtes ou l’odeur du foin coupé… ». Mais les « sachant » ne font pas mieux, avec des mots qui eussent laissé pantois Virgile ou même Jean-Jacques Rousseau : espaces verts, écosystèmes, biodiversité, bilan carbone… Muette (de stupéfaction ?), Gaia préfère être sourde que d’entendre ça ; pas sûr qu’elle se console en nous voyant errer dans les rayons bio, au supermarché.

Soyons honnête : les « sciences naturelles » montrent, de nos jours, un regain d’intérêt pour les animaux, et les plantes aussi ; et on découvre enfin combien nous sous-estimions les talents des uns et des autres… Du coup, la torture et le massacre d’êtres vivants dans les labos, les élevages et les abattoirs suscitent une salutaire indignation.

Et, paradoxalement, la nature et ses « ressources » menacées donc disputées, pourraient nous faire redécouvrir le caractère tragique de l’Histoire : à peine « finie », la voilà qui repart, tout naturellement, mais c’est une autre histoire…

On ne lit plus trop les poètes aujourd’hui, et pour les paysans c’est la double peine : premières victimes des « biocides » qu’ils épandent, ils sont de surcroît exposés à l’« agribashing », conspués par les voisins et le parti animaliste. Il est vrai qu’on a peine à croire que « campagne » était naguère synonyme de bon air, eau fraîche et nourriture saine…

Là pour le coup, et sans offenser le regretté Michel Serres, « c’était mieux avant », non ?

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