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Discours...

Homo fabulator

par Paul Soriano

1er juillet 2021, modifié le 7 septembre 2024

Homo creator ne se contente pas d’émettre des sons, il parle et produit des discours, sur le monde, lui-même et ses propres créations, des discours sur ses discours, y compris celui-ci, et même sur le « non-être » ! Et ces discours produisent des effets réels dans le monde, même si aucun discours jamais ne dit ce qui existe ici et maintenant, au présent, car il faut du temps pour le dire…

Homo loquens met des « signes » à la place des choses du monde, des « objets » que fabrique homo faber, et des « personnages » qu’il institue : roi, prêtre, guerrier, etc. sont des êtres hybrides, réels (en chair et en os) mais « symboliques » ; on rencontre même des êtres purement imaginaires telle Mme Bovary, qui parlent et dont on parle aussi, sans oublier les chimères

Dès lors Homo fabulator ne cessera de produire des discours, mythiques, religieux, philosophiques, littéraires, scientifiques… Autant de discours pour dire le monde, l’homme, la « vérité », ou pour raconter des histoires et autres récits destinés à nous (les humains) mettre en valeur. Y compris ce discours-ci, bien entendu. La psychanalyse, par exemple, est un genre littéraire mixte (la tragédie antique dont vous êtes le héros) fondé sur la révélation d’un secret détenu inconsciemment par l’auditeur du récit. « L’ennui de n’être que soi peut devenir insupportable. C’est ainsi qu’on en vient à écrire des romans », remarque André Bleikasten, biographe de Faulkner.

Autant de discours que de « cultures » ou, à plus grande échelle, de « civilisations », dont la civilisation dite « occidentale » qui produit de surcroît des discours sur les discours surplombant tous les autres, notamment le discours scientifique tel le grand récit de l’« évolution ».

Dans son projet de s’affranchir de tout ce qu’il n’a pas créé lui-même Homo creator multiplie les « lectures » du monde et les fanfaronnades philosophiques ; à la religion, promesse d’un autre monde, juste et ordonné, s’oppose l’athéisme (il n’y a pas d’autre Créateur) ; Descartes le décrète maître et possesseur de la nature ; la philosophie « idéaliste » entend l’« arracher l’homme à sa nature » (Kant), à ses mauvais penchants naturels, et les Lumières à son « enfance » pour atteindre l’âge adulte…

Cela pour le côté théorique (discours sur le monde) et philosophique (discours sur le discours) : mais les discours « pratiques » peuvent être « performatifs » et produire des effets réels dans le monde ; en pratique, le monde numérique, dit virtuel, est bel et bien une espèce de « monde comme volonté et comme représentation »… Mais du coup la technique menace de supplanter son créateur : au commencement était le Verbe et à la fin le Code ? Qu’on se rassure, Machina sapiens ne nous dissuadera pas de parler (pour ne rien dire), et le chatbot s’invitera même dans la conversation…

Avec le langage, la négation (« non », « rien », « néant »…) et l’imagination, le non-être fait son entrée dans le monde ! La philosophie commence par cette étrange question : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Plus troublant encore : aucun discours ne dit ce qui existe ici et maintenant, au présent : jamais l’horloge parlante ne dit l’heure exacte, seulement l’heure qu’il était ou qu’il sera, au quatrième top…

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