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Nature

OK Greta ! Cette année je sauve la planète !

par Paul Soriano

23 janvier 2020, modifié le 7 septembre 2024

Régis Debray publie Le Siècle vert. Et c’est du lourd : « Un spectre hante l’Occident… L’angoisse écologique qui donne sa couleur au siècle nouveau n’annonce rien moins, pour notre civilisation, qu’un changement d’englobant. Ce fut l’Histoire, ce sera la Nature. » Un siècle, c’est peut-être beaucoup au train où ça se déglingue. Parlons plutôt de fièvre verte et prescrivons des antibios. A large spectre.

Si la naissance de l’écologie politique remonte à quelques décennies, c’est en quelques années seulement que la préoccupation écologique est devenue omniprésente ; véhémente dans tous les discours, du « grand récit » au tweet, elle est déjà prescriptive dans nos comportements au jour le jour, à la maison, au bureau, au supermarché…

Max Weber (1864-1920) a identifié « trois types de domination » qui nous font obéir, nous conformer, que ce soit dans les grandes occasions (faire le sacrifice de sa vie pour le triomphe de la vraie foi, pour la patrie ou le prolétariat) ou les petites (faire le tri des ordures ménagères). À savoir : « charisme », tradition et « rationnel-légal ». Simplifions : on obéit parce qu’on est ému (par le « charisme » d’une personne, d’une idée ou même d’un nom ou d’une image) ; ou par conformisme (pression sociale) ; ou parce qu’on se rend à des arguments. En bref : on sollicite l’âme, le corps (l’habitude nous gouverne un peu à la manière de l’instinct, souvent à notre insu) ou la raison, à l’intérêt bien compris, et même la peur peut être « bonne conseillère ». L’autorité fonctionne encore mieux quand elle combine les trois « motivations ».

Quid de l’impératif écologique ?

Le « respect de la nature » peut théoriquement relever de chacune des trois instances. On peut sacrifier au culte de la Terre considérée comme une divinité, à la manière des païens (étymologiquement, un « païen » c’est un paysan) ; ou bien obéir aux prescriptions d’une certaine culture, surtout si elle est sublimée par le sentiment religieux ; enfin, on peut modifier ses comportements « parce qu’on va droit dans le mur et qu’on a intérêt à changer si on veut survivre ». Pourquoi tu tries, Raoul ? Parce que tu vénères Lady Gaïa ? Pour faire comme tout le monde ? Ou parce que tu es un citoyen soucieux et responsable ?

On pourrait croire que les Modernes, éclairés aux Lumières, ne jurent que par la raison et l’intérêt bien compris. En réalité nous avons remplacé la tradition par le conformisme et vulgarisé le charisme, en accordant crédit à l’opinion de ces idoles que sont les stars, y compris celles du showbiz ou du sport. Les publicitaires, qui en connaissent un rayon en matière de persuasion, ne s’y sont pas trompés : c’est Teddy qui l’a dit ! Les leaders écolos sont rarement charismatiques mais comment nier le charisme de Greta ? Elle ne fait pas une déesse-Mère très crédible, forcément, mais c’est une vraie star.

Du côté des élites, l’inquiétude (nourrie en même temps par une menace d’une autre… nature, appelée « populisme ») se combine avec l’intérêt : green business et compagnie… On peut aussi suspecter un effet de distinction sociale, pour se démarquer des gens qui clopent, roulent au diesel et achètent du Nutella à l’huile de palme chez Leader Price – qui verdit aussi pourtant et appartient au même groupe de distribution que les supérettes préférées des bobos parisiens. Bien fait !

Inutile donc d’invoquer on ne sait quelle « religion de la Nature ». Un paganisme résiduel vivote bien dans de lointaines tribus mais les évangéliques convertissent à tour de bras ces malheureux. Et dans quelques sectes druidiques – ces curiosités folkloriques étant sans rapport avec la fièvre verte puisqu’elles n’ont jamais tout à fait disparu dans l’espace chrétien…

Peu importe, après tout, motivations et interprétations, pourvu que ça produise des résultats. Et là… Le hasard a voulu que le Siècle vert paraisse le jour où l’on apprenait qu’en France, l’utilisation des pesticides a augmenté de 24 % en 2018 par rapport à 2017 et de 25 % en une décennie. Le siècle vert… de gris ? En ville ça résiste aussi. Pas vu à la télé (interdit) mais entendu à la maison, Baptiste, six ans n’écoute pas Greta, une « vieille » à ses yeux : « Marre des brocolis ! Je veux manger gras, sucré, salé ! ». On l’aurait giflé (interdit, même à la maison !). On l’a quand-même puni d’une double ration de courgettes vapeur. Au fond, c’est lui qui est le plus « nature », parce qu’entre nous, les brocolis… Car, curieusement, parmi les symptôme d’un prétendu retour à la nature, on cite couramment le véganisme ou le refus du genre qui ne sont pas naturels du tout. Nature, nature, que d’impostures on commet en ton nom

La technique ou l’anti-nature

Mais surtout le bio ne doit pas dissimuler que nous sommes en même temps de plus en plus « techno » et la technique, c’est… l’anti-nature ! Un moyen de réduire notre dépendance à son égard. On se croirait dans la dialectique du maître (l’homme) et de l’esclave (la nature) : le maître, s’étant enfin aperçu qu’il dépend de l’esclave, le « reconnaît » certes, mais fait tout pour s’affranchir de cette humiliante dépendance. Certains allumés espèrent même que la technique va nous libérer des contraintes naturelles, et de la vie tout simplement ; tant qu’à parler de religion, il faudrait regarder du côté des transhumanistes…

Debray prédit le retour des chamans. Mais de nos jours on les soumet à l’imagerie cérébrale pour mesurer l’influence du tambour en peau de bison sur la rapidité de transmission des flux synaptiques en état de transe, dans l’espoir d’en tirer des applications thérapeutiques ou « créatives », ou pour favoriser l’achat impulsif hébété dans les grandes surfaces.

Et remarquons enfin que le produit générique qui a sauvé le plus de vies humaines et sans doute permis l’allongement spectaculaire de la durée de vie (humaine) porte le doux nom d’antibio. Troublant aussi, non ?

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