La raison en est simple. Pour faire une gauche, il faut deux ingrédients ; un mécontentement : quelque chose ne va pas et vous indigne, dans ce monde ou dans la société ; et une théorie qui explique le mal et se propose d’y remédier (le marxisme, par exemple). En religion, cela s’appelle une gnose.
À droite, pas trop de sentiment, parfois jusqu’au cynisme : on ne fait pas de bonne littérature et encore moins de bonne politique avec de bons sentiments ; ce qui divise à droite, ce sont les intérêts plutôt que les opinions… Et pas de théorie, plutôt une (belle) histoire, tel le « roman national » : la cité n’a pas besoin d’être « expliquée », telle la rose, elle est sans pourquoi, seulement célébrée…
« Les optimistes écrivent mal », prétend Valéry, lui-même exception à la règle (intellectuel ET grand écrivain, et même poète) ; précisons lourdement : bien que mécontent structurel, souvent mécontent de soi, l’intellectuel est néanmoins « optimiste » parce qu’il détient la solution. Et Valéry ne cesse d’ironiser sur le travail intellectuel, qu’il pratique pourtant assidument, mais jamais démonstratif.
Pour le hussard, « La philo n’est pas mal non plus. Malheureusement, elle est comme la Russie : pleine de marécages et souvent envahie par les Allemands. » Car ce bien-disant est souvent médisant : la vacherie (le bon mot, la saillie…) est tellement plus littéraire que l’éloge – et ne devient morale que lorsque l’auteur se la décoche à lui-même.
Même athée, l’intellectuel est un prêtre – ou plutôt un pasteur – il croit au bien et au mal ; même catholique (sauvé par ses œuvres), le grand écrivain est laïc, il croit au bon et au mauvais goût.
Toutes les exceptions que vous voudrez, Valéry, donc, les Aragon, Malraux, Drieu, Sartre même… Mais à y regarder de plus près, il se pourrait bien qu’elles confirment la règle ; sans compter qu’il est permis de changer – de trahir ? Une chose semble établie : une œuvre destinée à faire passer une théorie, fût-ce en contrebande, une œuvre subordonnée à quoi que ce soit, est perdue pour la littérature. Et là, pas d’exception…