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Soft power

Comment se propage l’épidémie de fièvre verte et quel virus en est l’agent ?

par Paul Soriano

29 janvier 2020, modifié le 30 juin 2024

Oui, comment circule, en boucle et à grande vitesse, dans tous les organes du corps social (sphère politique et intellectuelle, médias, séries télé, showbiz, publicité, réseaux sociaux…) le virus #jesauvelaplanete récemment identifié par la médiologie ?

Toutes proportions gardées, l’écologie semble prendre dans notre quotidien la place occupée par la religion au Moyen Âge : ce qu’on évaluait alors à l’aune du péché, on le mesure aujourd’hui à l’aune de l’éco-responsabilité. L’écologie politique est-elle entrée en religion ?

Il y a dans le Siècle vert un passage amusant mais troublant, où Régis Debray remarque que le culte de la Nature « semble se couler, pour faciliter la transition, dans un moule familier à l’ex-fille aînée de l’Église. » Et de recenser les analogies : professions de foi, processions (comme en ce moment, sur la route de Davos), pratiquants de stricte observance, mécréants (climato-sceptiques), intégristes, prophètes de malheur, subtils casuistes (qu’est-ce qui est bio et qu’est-ce qui ne l’est pas ?), synodes œcuméniques (COP et autres sommets pour la planète)… N’oublions pas les hérétiques, ces écolos pro-nucléaires (sous prétexte que le nucléaire émettrait moins de CO2), ni la persécution des croyants (green bashing), en représailles à celle des pécheurs-pollueurs (agribashing), ni le catastrophisme millénariste apocalyptique, connu sous le terme technique de « collapsologie ». À quand les martyrs ? À quand les bûchers pour les sorcier(ère)s ?

Kojève dit qu’à la fin de l’histoire, quand l’homme redevient un animal « en accord avec la nature » (l’homme historique, lui, se détermine contre), des « formes » historiques reçoivent n’importe quel contenu : ici, le culte catholique, semble accueillir un tout autre Credo, alors même qu’une mauvaise nouvelle se substitue à bonne (Évangile).

À ceci près qu’au Moyen Âge, une institution unique détenait le monopole de l’émission et de la transmission du « discours moral », que l’on dirait aujourd’hui idéologique. Notre monde, qu’on dit fragmenté, anarchique, est bien plus sûrement « systémique » et « viral » : tous les canaux de prolifération de la bonne parole sont interconnectés. Certes, le système crée du consensus, influence, manipule, tout comme le monopole, mais par des moyens tellement différents qu’on se fourvoie complètement à les assimiler. Le médiologique fait toute la différence.

Comment ça marche et comment on nous fait marcher

De nos jours, la bonne parole circule à très grande vitesse et en boucle entre les sphères politique, intellectuelle et médiatique, et affecte aussitôt la sphère du divertissement (les fictions populaires à la télé, le showbiz et les amuseurs publics), la publicité et, bien entendu, la partie « civilisée » des réseaux sociaux – le reste, n’est-ce pas, ce sont des « bulles d’opinions » mal-pensantes que l’on fustige, sans même voir (sans doute parce qu’on est dedans) la mégabulle d’opinion, bien-pensante par définition et qui n’a rien à voir avec celles du pape… La pub, par exemple, se montre prescriptive à sa manière, sans le dire explicitement, dans les mises en situation de ses produits : Raoul (beauf notoire) se réconcilie, autour d’un Vegaburger multiculturel, avec son fils qui vient de faire son coming out… Elle est pas belle, la vie ?

En attendant, qu’en est-il de cette « viralité ». Dans la vie réelle les épidémies « naturelles » (certifiées bio), dans le monde virtuel les épidémies d’opinion : et toujours le virus » à la manœuvre. Techniquement, le virus (le « pollen » si vous préférez voir la vie en rose), s’appelle un « hashtag ». En moins de cinq ans, trois pandémies l’ont successivement mis en lumière. La première, avec #jesuischarlie (accès d’émotion éphémère) ; la deuxième, toujours virulente, avec #metoo et #balancetonporc (séquences successives d’indignation) ; la troisième avec #jesauvelaplanete, beaucoup plus universel : tout le monde ou presque, homme, femme, enfant... peut le proclamer.

Dans sa liste de références au culte catholique, Debray aurait pu ajouter le catéchisme, parce qu’enfin jamais on a été autant catéchisé, rappelé à l’ordre, « notifié », surveillé, traqué que dans ce monde sans Dieu ni maître des « mutins de Panurge » (Muray). Bien au-delà d’une fièvre verte somme toute salutaire, c’est toute l’inépuisable question de la liberté que soulève à nouveaux frais cette pensée unique, de plus en plus portée à la sanction (« l’envie du pénal », comme dit Muray, décidément bon prophète). Et si, sous l’apparente cacophonie de la conversation mondiale, règnait déjà une unanimité bien-pensante et sourcilleuse, d’autant plus redoutable qu’elle se pique d’être « rebelle » et « décalée ». Rebelle envers qui ? Décalé par rapport à quoi ?

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