En théorie les choses devraient pourtant être simples : d’une seule voix, la science dit le vrai ou tout au moins le probable et l’efficace ; le chef consulte, puis conçoit et met en œuvre une « stratégie ». En cas de doute, il lui appartient de trancher, en prenant ses responsabilités (politiques). Moi Président (comme disait Hollande), j’interroge le « Conseil scientifique » et je décide (comme dit Macron), le Premier ministre exécute (comme disait Sarko) ; et chacun de son côté fait son travail et son devoir « en toute transparence » (comme ils disent tous). En pratique, ça semble un tout petit plus compliqué.
Déjà, il y en a plusieurs, de stratégies, et chacune ne vaut que si elle est exécutée sans faille, par les gouvernants… et par les gouvernés, plus ou moins disciplinés comme on sait, question de culture nationale (Coréens versus Italiens ou Français)…
La partie scientifique n’est pas à l’abri des charlatans et autres producteurs de bullshit, tels ces « modélisateurs d’avenir » dont Didier Raoult assimile la science à l’astrologie. Le même illustre plaisamment les égarements méthodologiques par ce test de validation de l’efficacité du parachute : faire sauter, au hasard, 100 personnes portant un sac avec ou sans parachute… Sinon : un médecin confronté à l’absence de traitement « ayant fait la preuve de son efficacité » appliquera faute de mieux la « méthode de Tom » : traiter le malade comme s’il était son propre fils (Tom, on l’a deviné). C’est déjà plus rassurant. Car la confusion des rôles est parfois précieuse : personne ne veut d’un médecin ignare mais pas davantage d’un médecin savant mais incapable de décider d’un diagnostic et d’un traitement…
Savant et compétent, mais en quelle matière ? L’extrême spécialisation de la science en général et de la médecine en particulier brouille quelque peu désormais la notion de « compétence »… Peut-on sérieusement se prévaloir d’un savoir étroit et bien précis pour justifier par l’argument d’autorité l’expression d’opinions générales ? Et ce ne sont pas les truismes systémiques d’une fumeuse « science de la complexité » qui vont nous tirer d’affaire…
Au fil des décennies, une autre science incertaine, idéologiquement biaisée, a pris un poids décisif, à peine atténué par des divergences aiguës entre économistes… Il reste que c’est essentiellement pour des raisons économiques qu’on a tourné en bourrique la pauvre Roselyne Bachelot plombée par ses vaccins. Mais pour bien juger, il faudrait encore distinguer les échelles de temps : dans le cas des masques, par exemple, il y a la décision ponctuelle d’abandon des stocks mais aussi et surtout notre incapacité à les reconstituer du fait de choix à long terme d’outsourcing industriel…
Décider « en toute transparence » ? Voire… Le pouvoir n’affiche pas toujours ses critères : confinement ou immunité collective ? qui sacrifier ? Avec parfois sans doute de bonnes raisons de les taire, et de moins bonnes ; on constate aussi des dénégations, ridicules et choquantes, du genre « les masques ne servent à rien ». Et pire : quand un haut fonctionnaire de santé, par ailleurs unanimement salué, condamne et culpabilise les simples citoyens qui portent masque, comme s’ils étaient responsables des pénuries dont souffrent les soignants, les policiers, caissières et autres prioritaires… De leur côté, les opposants politiques peuvent difficilement résister à la tentation de tacler ou de faire trébucher le chef qui, après tout, est aussi leur adversaire…
Partout, on rencontre les fameux « conflits d’intérêt » et le mélange des genres : Untel, président du comité d’éthique ou porte-parole de la stratégie gouvernementale, demande encore Raoult, qui lui-même est à la fois savant (spécialiste), épistémologiste, praticien (médecin), conseiller, personnalité « médiatique »… Presque une star – et pourquoi pas ? Ça nous changera des footballeurs, chanteurs et autre journalistes vedettes.
Car avec les médias, pour le coup, l’ambiguïté est à son comble. En principe, ils nous « informent » sans biais d’aucune sorte, donnent la parole aux uns et aux autres, dans la plus stricte neutralité. Sauf que les journalistes, devenus animateurs, producteurs de spectacle vivant ou amuseurs publics jouent de surcroît volontiers les enquêteurs, voire les juges d’instruction, les procureurs, les experts… avec quelle légitimité ? Et les réseaux sociaux, quoi qu’on en dise, ont à peine ébranlé le « quatrième pouvoir » qui s’y trouve du reste très influent.
Beaucoup trop de guillemets et de points de suspension dans ce billet. Outre le laisser-aller stylistique de l’auteur, les premiers soulignent le doute sur le sens même des termes employés, les seconds suggèrent qu’il y aurait beaucoup, beaucoup à dire sur telle ou telle affirmation.
Étonnez-vous après ça qu’un policier trop zélé ou rendu agressif parce qu’on n’est pas fichu de lui fournir un masque verbalise un quidam qui n’avait pas recopié tous les motifs de déplacement (et pas seulement le sien) sur son attestation recopiée à la main ; parce que, voyez-vous, seule une minorité de Français (au hasard : 24 % ?) possède un ordinateur, une connexion internet et une imprimante. Vous ne le saviez pas ?
La prochaine fois, on confiera sans doute l’affaire à une intelligence artificielle, seule capable de « prendre en compte tous les facteurs » et d’ « éliminer tous les biais ». Attention pourtant : ayant tout pris en compte et tout calculé, l’IA pourrait bien en conclure qu’il serait plus rationnel et plus raisonnable de laisser le virus accomplir son œuvre.